le Bal de l'Internat des Hopitaux de Paris

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Le bal de l'INTERNAT

Le Bal de l'Internat 1947

Carrefour 15 octobre 1947

bal de l'internat 1947Bal de l'Internat 1947 H

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le bal de l'Internat

.Nous avons été conviés, Sennep, Gassier et moi, à un honneur bien imprévu : on nous a appelés à une consultation médicale. C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire. Il parait que le jury du bal de l'Internat avait estimé qu'à l'occasion du cinquantenaire de cette fête tradionnelle des salles de garde des hôpitaux parisiens, on avait absolument besoin de deux crayons éblouissants et d'un modeste stylo pour pratiquer cette opération délicate : couronner les plus dignes.
.....A la suite de quoi j'entrai samedi soir, au coup de sept heures, à l'hôpital Bichat où l'on me fit subir un traitement imprévu.
.....Dans une pièce où une centaine de couverts attendaient leurs convives, un jeune interne blond, vétu d'un élégant costume de tweed, m'accueillit par ces mots :
- Vous permettez de vous débarraser ? Votre pardessus ? Merci. Votre veston, maitenant. Et puis votre gilet, votre col et votre cravate...
.....Il se montrait prévenant, aimable, mais ce doit être un sujet d'élite. Il avait précocement l'autorité de ces médecins aux caprices desquels on n'ose se refuser lorsqu'ils vous demandent les choses les plus déraisonnables, en apparence, comme par exemple de leur tirer la langue.
.....Quand il me jugea suffisamment dépouillé, le jeune interne blond mit son butin sous son bras gauche et me fit un aimable petit signe de la main droite, en me criant :
- Asseyez-vous un instant, je reviens de suite.
.....Il ne m'avait laissé que ma chemise, et je songeais, en le regardant s'éloigner, qu'il devait être parent de M. Robert Schuman.
.....Il revint une grande demi-heure plus tard, en s'excusant fort civilement :
- j'ai préféré, m'expliqua-t-il, m'habiller avant le diner.
.....S'habiller ? C'était évidemment façon de dire. Appréciez : le jeune blond s'était mué en nègre. il avait un turban orange fort seyant et puis... ah ! oui ! un pagne minuscule. C'est bien tout.
- Comment me trouvez-vous ? Tenez, je vous apporte une belle robe de moine... De cordelier, si je ne m'abuse... Et quelle magnifique corde blanche dont vous allez vous ceindre... Ah ! on travaillait bien avant la guerre... Tenez, passez la manche ... Superbe ! Vous êtes superbe !...
.....Ce n'est pas exactement mon opinion lorsque je m'aperçois dans une glace, mais j'aperçcois en même temps "un étranger vétu de bure, qui me ressemble comme un frère"... Et c'en est bien un, puisque cet autre moine n'est autre que le cher Sennep. Il discute d'une façon tres animée avec Gassier, qui a gardé son coquet accoutrement de laïc, et qui déclare tout net, que souffrant d'une sciatique, il renonce à se rendre à la salle Wagram où le costume est de rigueur. Il en conclut qu'il peut diner en veston.
.....Le voici seul de son espèce, dans la salle de garde garnie des internes de Bichat mués en Indiens, de ceux de Bretonneau devenus des Chinois et peinant rudement à rendre inamovibles leurs longues moustaches, toutes pareilles à des guidons de vélo de course ; enfin de ceux de Claude-Bernard, Arabes aussi Arabes que ceux que peignit Fromentin, avec leurs colliers de barbe.
.....Nous faisons des adieux déchirants à Gassier qui regarde avec nostalgie s'engouffrer dans les deux autobus et dans les voitures particulières qui leur feront cortège : négres, Indiens, Chinois... et moines.
- Vous ne venez pas ? lui demande un gigantesque interne. Ah ! vous êtes malade ? Ah parfait, très bien, très bien ...
.....La voilà bien, la déformation professionnelle.
.....Encore qu'il soit minuit, notre cortège ne manquera pas de produire quelque effet dans la traversée de la moitié de Paris. Il est vrai que nous prenons peu de précautions pour passer inaperçus.
.....La première ovation nous est faite par lees derniers consommateurs des cafés de la place Clichy. les gens du bar Biard se montrent sympathiques aux barbares qui passent.
.....Moins de succés au cours d'un arrêt accidentel causé par le chauffeur inhabile d'une Cadillac suspecte, devant l'entrée d'une boite de nuit, un peu plus bas. Le gérant contemple d'un oeil glacé et désapprobateur tous les gens qui vont porter ailleurs une gaité dont Montmartre aurait tant besoin.

Que la fête commence ...

.....Me voici dans la loge d'honneur de la salle Wagram en compagnie de mes collègues du jury et des sommités médicales dont je n'ai pas le droit de vous dire les noms ni de vous décrire les costumes.
.....Au-dessous de nous, le père et la mère Bal, dans leurs atours de mariés d'il y a cinquante ans, vont recevoir les hommages de toutes les salles de garde.
Mais qui vois-je soudain ? - et ici, on me permttra d'écrire un nom. Voici le président Ramadier... Mais oui, je ne me trompe pas : cette barbiche, ce lorgnon, ce sourire tranquille d'un homme imperméable aux émotions... il a un costume d'Indien, avec des plumes dans les cheveux... Est-ce possible ? M. Philip, à la rigueur, je comprendrais ...
.....Dieux soit loué ! Ce n'est pas M. Ramadier. C'est un éminent cardiologue qui est son sosie hallucinant, et à qui l'on me présente. Je prends un air fin :
- J'allais vous appeler "monsieur le président..."
.....Mon effet est raté, mon interlocuteur porte précisement le titre de président, car il est à la tête d'une association professionnelle.
.....Mais une fanfare éclate ... La garde noire chargée de la police de la salle prend ses positions dans le vaste hall. Elle se montre impitoyable, et les resquilleurs les plus astucieux sont immédiatement détectés et expulsés. En revanche, je rencontre régulièrement invités, de jeunes Américains. Ils sont aux anges.
- You bet, me dira l'un d'eux, I would not have missed that night for anything. I would not have never dreamed of such of gorgeous show. I wish we would have such things in the States !
.....Les dix défilés concurents, qui se succédèrent dans les décors d'un art et d'une ingéniosité remarquable, méritèrent tous les suffrages, singulièrement celui du délégué de l'Ecole des beaux-arts, arraché à sa dignité officielle au point de pousser des hurlements de joie.
.....Le premier hôpital qui entre dans la lice est Saint Louis, suivi de Necker. Les Enfants-Malades qui étaient attendus, brillent par leur absence. On ne leur reprochera pas. Les enfants ne sortent pas le soir, surtout quand ils sont malades.
.....Tous ces noms mélancoliques s'associeront désormais, dans mon souvenir, à d'adorables visions de jeunes beautés sans voiles, dont on a raison de dire que leur vue est chaste.
.....Chaste aussi le défilé de Broussais, en dépit de la double présence, juchées sur leur palanquin respectif, d'une Vénus sortie de sa conque pour mieux se faire voir, et d'une Léda avec son cygne (ci-devant Jupiter), présentés l'un et l'autre dans l'exacte attitude du tableau du Corrège.
.....Cochin offre à l'éblouissante féerie, ous le titre : "Les Gitans", une participation orginale (très Cochin, oserai-je dire), avec une imagerie étonnante, et étonnante surtout quand on apprend que le jeune artiste qui l'a exécutée exerce un second métier : celui de chirurgien.
.....Bichat, devenu depuis quelques heures "mon cher Bichat", nous fait assister au supplice du scalp, infligée par les Indiens du Texas (entre nous, ce sont des Indiens-maison) à un ahuri chasseur de papillons. Les Arabes de Claude-Bernard et les Chinois de Bretonneau assistent à ce massacre raffiné avec une joie sadiaque.
.....Lariboisière présente un sketch à la fois magnifique et féroce : une menagerie avec des cages enfermant d'étranges animaux, tels la bête à concours, le fils du patron, le petit professeur agrégé (virulente satire contre le népostisme ou, si vous voulez, les deux cents familles médicales).
.....Non moins féroce s'avère la présentation d'un autre animal : le Doyen, appartenant à l'espèce des somnifères. Il est omnivore mais se nourrit plus spécialement de distinctions honorifiques, jusqu'à et y compris le Nichan Iftikar et l'Ouissam Alaouite.
.....Un récitant impitoyable nous fournit ces explications. En vers si je ne m'abuse.
.....Cette spirituelle charge enchanta le jury, bien décidé, après l'avoir goutée pleinement, à accorder à Lariboisière le premier prix.
.....Nous dumes par la suite réviser notre jugement devant l'adorable présentation de Saint-Antoine : les Paysans.
.....C'est une évocation poétique et adorablement agreste de la cambrousse, avec apparition sur la piste de véhicules campagnards (Saint Antoine et ses cochers).
.....On vit, sur un coup de baguette magique, la légume verte transportée écarter ses feuillages pour livrer passage aux plus jolies filles du terroir. Une immense ovation s'éleva de toutes parts devant le rappel visible, plastique, de la vieille légende : l'enfant né dans le chou.
.....En vérité, Saint-Antoine méritait aussi le premier prix. Nous sommes des justes, il 'lobtint ex aequo avec Lariboisière.

.....Le défilé de la Pitié, qui suit, n'en inspire aucune. Au contraire, on envie la grâce de ses jongleurs et de ses danseuses évoluant avec une légereté digne des Ballets russes, sur l'air à la fois martial et émouvant du vieux refrain de salle de garde "Nini Peau de Chien".
.....Unissant leur efforts, les hôpitaux Foch, Marmottan et Beaujon viennent broder d'agréables variations sur ce thème : "L'Auberge". Tenon s'est chargé de nous montrer que la fanfarre de Bagnolet est sans égale et sans rivale. Musiciens de lagarde, prenez garde !
.....Mais voici que le jour se lève en même temps que le bouclier de la révolte. Résolument - qu'ils disent- opposés à la fête, les internes de Bicêtre, un peu énervés eux-mêmes - cela se conçoit- n'ont consenti à y participer qu'en organisant le défilé des "forçats du plaisir". Traduction chorégraphique, sans doute, du célèbre mot de Lord Palmerston : "La vie serait à peu près supportable sans les plaisirs."
.....Cette pensée, exprimée par Bicêtre avec un humour macabre et des cercueils qui pourront servir à leurs futurs clients, je me surpris à la trouver très juste, à la fin de cette nuit qui m'avait tant charmé.
.....Mais c'était pour une raison bien particulière. Vous êtes-vous jamais trouvé à six heures du matin sur le trottoir de l'avenue de Wagram, habillé en moine, après avoir reçu cette nouvelle désolante : "Les autobus sont rentrés au garage, le métro vient de se mettre en grève, et l'on ne trouve pas de taxis!"
.....Telle était ma situation ! C'est peu dire que je la trouvais pénible. Renonçant pour le moment à récupérer mes vêtements laics restés à l'hôpital Bichat, allais-je, pèlerin sans le vouloir, me diriger à pied vers mon village de Saint-Germain-des-Prés ?
.....Je n'eus pas ce courage, car je redoutais tout : une rencontre matinale avec Sartre et Mlle Simone de Beauvoir, le regard courroucé de ma concierge, charmante femme mais ethniquement "faubourg Saint-Germain".
.....Ma mauvaise humeur s'accroissait surtout devant le flegme amusé de Sennep, pourtant aussi embété que moi.
- Ca va s'arranger, ne cessait-il de me répéter.
.....Et de rire méchamment.
.....Cela s'arrangea d'ailleurs. Un médecin nous sauva. Ah ! l'excellent homme. Il était costumé en danseur circassien, et sa Jeep était désuisée en cabriolet. Il nous prit en charge. C'était un gynécologue à qui j'applique de confiance le qualificatif de distingué.
.....C'est, vous le pensez bien, en termes choisis que, parvenu devant ma porte, je lui exprimais ma gratitude.
.....L'obligeant gynécologue me répondit simplement :
- Tout à votre service !