le Bal de l'Internat des Hopitaux de Paris

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Les Bals de l'Internat

 

Le Bal de l'Internat 1912

AESCULAPE novembre 1912
3éme suplĂ©ment trimestriel p 17

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L'album 1912

Histoire 1912

 


..... Nous avons la certitude d'etre agréable à tous nos lecteurs en leur permettant de se mèler par la pensée, durant quelques instants, à la folle jeunesse médicale qui vient d'égayer de ses sarabandes, de ses chants et de ses folies, la vaste salle bullier. C'est, semble t'il, un des privilèges du medecin de demeurere jeune d'esprit et de coeur, et d'entourer d'une sympathie dont les ans ne font parfois qu'élargir l'indulgence, les audaces et les excentricités que des esprits chagrins, en d'autres corporations, ne jugeraient fâcheusement.
..... Le Bal de l'Internat est une des manifestations les plus expressives des Salles de Garde parisiennes. Il est peu de médecins qui n'y aient assisté comme internes, externes ou roupious. Il est du à l'effort commun de peintres et d'internes : rapins et carabins ont de tout temps fait bon ménage; les murs du logis des internes le prouvent. Les ateliers se mettent au service des Salles de Garde pour organiser des défilés somptueux, où l'art le dispute à la fantaisie la plus échevelée, le caractère privé de la réunion autorisant des licences que justifie la recherche de l'exactitude historique.

.....Le 23 Octobre, de neuf heures et demie à minuit, les portes de Bullier sont demeurées ouvertes à la foule bigarrée des invités du corps de l'Internat. Réjouissons-nous de voir revenue en son quartier d'élection la pittoresque bacchanale.

Les cartes d'invitation

..... Poulbot a dessiné, avec sa verve coutumière et sa connaissance assurée de la psychologie infantile l'une des cartes d'entrée. De jeunes produits de la zone des fortifs, court vétus, vicieux et canailles, ont lié au poteau de douleur un négrillon. Fièrement campé, dans l'attitude pleine d'aisance d'un David vainqueur, un bambin de dix ans à la chevelure hirsute, tend à une fillette tout à la fois curieuse et craintive, un présent dont le pauvre noir a fait les frais. Le serpent symbolique s'enroule au tronc d'un arbre voisin; mais les roles bibliques ici sont renversés : l'Adam précoce a tenté l'Eve en herbe. Autour des deux protagonistes, des yeux ronds s'écarquillent, des oreilles prolabées s'allongent, des sourires malicieux rétracatent les commissures de trois petits voyous en puissance. C'est toute la cruauté raffinée, la méchanceté sournoise, la perversion instinctive de l'enfance rendues en quelques traits frustes. Mais il y a le sourire... et cela suffit.
..... Voici la carte pour dames, où domine le mouvement, l'entrain, la joie spontanée. Avec l'insouciance de leurs vingt ans, de belles filles, vétues de leur bas, sont allées quérir dans son tombeau poudreux l'ancètre Purgon, décédé il y a bien près de trois siècle. Et voilà qu'elles l'entrainent à la folle dyonisie, à ce Bullier de perdition où tant et tant de neveux et petits neveux et arrière-petits-neveux sont entrés, pour en sortir en gaie compagnie, oublieux de la réserve du jeune Thomas Diaforius et riant de sa question naïve : "Baiserai-je, papa?"
..... Pauvre et malchanceux Purgon ! Ses vieux os s'entrechoquent dans la course effrénée, son haut chapeau pointu a peine à tenir en place, son avant-bras gauche est chu : un fox-terrier le tient en gueule, cloturant le cortège! Que damnées soient ces filles du XXe siècle, folles de leur corps et de celui des autres ! Les soubrettes de son temps étaient plus indulgentes à ses rhumatismes !
..... Quelques vers ingénieux, dont G..... interne à la Pitié s'est rendu responsable, s'adressent à la gracieuse invitée :

Nous Tenon à ta présence
Fais nous en la Charité
C'est Pitié, lorsque l'on danse
D'etre sans toi ma Beauté

Sans toi, si beau qu'il Bicetre
Notre bal Necker rupin :
Plus d'un ailleurs voudrait etre
Si tu re Broussais chemin

Viens sans Trousseau, presque nue !
Plus dur que Dubois, ton sein
Damnera dés ta venue
Saint-Antoine et son Cochin

A Bullier, nous serons blonde,
Tes Hotes et le Dieu fripon
Ivre y ménera la ronde
Des Bichats et des Beaujons

.....James Richard est l'auteur de la carte. Nos lecteurs verront, par divers croquis semés au hasard de cet article, de premier jet, que la spontanéité, le sens du geste et de l'attitude expressifs caractérissent le talent du jeune artiste. Lui et quelques autres, parmi lesquels nous avons à citer Pariselle, auteur de plusieurs dessins reproduits également dans ces pages, Van den Berg, Fuchs, Barrère, Trilleau, Guy Arnoux, s'efforcent de faire revivre la tradition, qui ne s'est jamais rompue tout à fait, de l'artiste ami satellite et commensal des salles de garde parisiennes, transcrivant aux murs de la salle à manger commune, de la bibliothèque, en des fresques toujours savoureuses et évocatrices les faits et gestes, les folles ou spirituelles ou comiques aventures survenues au cours de l'année hospitalière. Et je ne parle pas des cas où le pinceau de l'artiste se hausse au pur chef d'oeuvre ! Les fresques de l'l'ancienne et de la nouvelle salle de garde de la Charité possèdent ainsi, à coté de significatives évocations du passé, des peintures dont s'honorerait un grand musée : le Laboratoire d'Olivier Bon, La Charité, La Foi et l'Espérance d'Hamon, le Sommeil léthargique d'Isaac d'Hatis, des oeuvres nombreuses de Bellery-Desfontaines.
.....Que la parenthèse, ainsi ouverte me soit pardonnée pour l'excellence de l'intention.
..... Je reviens à mon sujet précis.

La Salle durant le Bal

..... Les internes d'autrefois prétendent que dans les premiers bals s'exhibaient des costumes plus ingénieux, plus originaux et plus inattendus qu'à l'époque présente. Peut-etre y aurait-il lieu, en effet de critiquer le peu de souci qu'a la génération actuelle d'inventer des costumes. Les greniers du théâtre du Châtelet et les vestiaires de Souplet sont certainement trop mis à contribution. A défaut de pierrots, de loups, d'habits et autres costumes "insuffisants", on coudoie vraiment trop de Persans, d'apaches, de mousquetaires, de planteurs mexicains, d'Orientaux de tout poil. Toutefois reconnaissons-le, l'effet d'ensemble n'a guère à souffrir de cette paresse d'imagination, et le spectacle de la salle du Bal, dès onze heures du soir, eszt d'une intensité de vie et d'une variété telles que nulle description ne saurait en donner l'impression.
..... Une foule polychrome, mouvante, gesticulante, tournoie, chante, danse, s'éploie en farandoles ou se resserre en houles, entonne des chants classiques de salle de garde ou des scies du quartier, fait cercle autour d'un éthylique aigu, luttant pour le centre de gravité, ou poursuit de ses assiduités audacieuses une belle nymphe égarée en quète d'un sylvain. Toute la faune humaine, dans la multiplicité de ses races et de ses accoutrements est représentée là : voici des guerriers grecs de la belle époque, des centurions romains, des sauvages Indiens et Sioux évadés des romans de Gustave Aymard ou de Fenimore Cooper, des cowboys du Far-West yankee, des gauchos de la Plata, des négres de Montmartre et des Peaux-Rouges du Quartier Latin. Voici de belles filles, de tous les climats et de tous les temps drapées dans les somptueux brocarts de leurs aïeules du temps jadis, voilées à demi dans la gaze légère des almées, ou plus simplement vétues de bas ajourés et de légers escarpins.
.....Trois pécheurs, en caban et suroit, par intermittences, jettent leurs filets et emprissonnent des groupes qu'ils promènent à leur grè par la salle.

.....Jusqu'à minuit, les cortèges attardés des salles de garde excentriques font leur entrée : des cris, des applaudissements, des gestes les accueillent. L'homogénéité de leurs groupes va se perdre bien vite dans la polychromie universelle. La Maison-Dubois fait une entrée triomphale, en une troupe bien ordonnée, précédée de drapeaux, vétue de costumes de l'époque révolutionnaire, brandissant des piques surmontées de têtes. A une heure tardive, un essaim charmant de gracieuses artistes du Moulin-Rouge, escorté de joyeux compagnons, apparait; c'est un délire d'acclamations.

.....Par-ci, par-là, des individualités se distinguent par le caractère inusité du costume ou par la manière dont il est porté. Compliments au rétiaire antique, armé du trident et du poignard, dont la nudité s'est drapé d'un costume léger de minces ficelles enfilées d'innombrables bouchons de champagne : voilà une bien originale façon de styliser le filet du rétiaire. Compliments au contempteur du cubisme et de la peinture fumiste qui s'est composé un costume avec des cylindres de tole, des tuyaux de poeles, droits ou coudés suivant la necessité, et dont le chef se recouvre d'un tube surmonté d'un cone de métal. Compliments encore au vénérable évèque orthodoxe dont une croix grecque orne la mitre : l'Eminence Thénar, - car il s'agit bien d'elle-, prend sous sa protection deux aguichantes almées vétues de gaze indiscrete et les tient accolées à ses flancs : présage sans doute des pures effusions qui suivront l'entrée des chrétiens à Constantinople.
.....D'autres seraient à citer encore : Heuyer, de Boucicaut, transmué en Vieux-Chinois, et qui à l'heure où j'écris ces lignes , soigne à Sofia les blessés bulgares; Pernot, de Saint Antoine, dont le costume, la face, le geste, le compagnon soyeux, font revivre l'ermite Antoine parmi des tentations pires que celles dont l'entoura jamais Téniers; Poulbot, pittoresque à souhait, en soldat de deuxième classe, "la viscope en arrière et la thrombine au vent", la tunique et toute la véture ouverte, plissée, débraillée; et combien d'autres, enfin, dont le nom a fui ma mémoire ! Je termine par le plus économiquement déguisé, ce sage invité qui sut se contenter : d'un shako à pompon pour couvre-chef, d'une couche de cirage sur la poitrine, d'un caleçon de bain, d'un parapluie.

Les loges

.....Mais contemplons un peu les loges qui encadrent la salle si pittoresquement de leur architecture variée et de leurs façades violemment décorées. Voici la loge de Necker avec sa curieuse frise. Le spectre du Professeur Guyon, qui émerge des nues, à la manière d'un Père Eternel, assiste au défilé lamentable des infortunes "urinaires" et les guide de l'index vers Necker sauveur et la Clinique de la Terrasse. Toutes les afflictions de l'arbre dépurateur et de ses annexes, du rein au méat, sont traduites hardiment en couleur sur la blancheur du calicot, aux parois et au fronton de la loge.

..... Lariboisière a bati une mosquée, sans grande dépense de temps ni d'argent, semble-t-il. Rapeno en a décoré la façade. Le directeur de cet hopital -intolérant et grincheux, s'il faut en croire la renommée- est cloué, sous les apparences d'une chauve souris, au seuil meme de la loge; au dessous se lit cette légende : "l'Homme-Chauve ne sourit plus". Le chirurgien Picqué sera sensible à l'honneur qui lui est rendu : il est représenté tenant un aéroplane en main; personne ne pouvait oublier en effet que Jules Védrines, le grand aviateur populaire, entré dans son service, mort plus qu'à demi, en était sorti vivant et le crane rasé.

..... Saint Antoine porte à son fronton une fière et fort engageante déclaration : "cy sont faits enfants beaux et biens conditionnés." N'allez point croire à de la présomption : la loge est simplement en harmonie avec le cortège, dont nous dirons du bien tout à l'heure, et qui a trait à l'eugénie. Ainsi s'explique le caractère très simple de la batisse, dont la frise s'orne seulement d'une image de Saint Antoine ermite, patron de la salle de garde. Le saint est assis; une douce réverie réjouit son visage, une jolie fille le provoque au péché, quelques menus démons l'entourent. Dans les lointains se voient des formes imprécises et vaporeuses de femmes. Elles traduisent la crise hallucinatoire qui occupe l'esprit et les sens du vénérable ermite.

..... La loge de la Charité mérite des compliments. Sa décoration picturale est l'oeuvre de Pinard, artiste, graveur, et traite de l'expulsion des dames de la salle de garde. Un seul reproche peut lui etre fait : elle n'est pas suffisamment conçue pour un but décoratif. Les grandes lignes simples, délimitant nettement de larges plans colorés, s'imposent pour le fronton des édifices éphémères que sont les loges du bal de l'Internat; dans le bruit, la cohue, la lumière artificielle, le souci du détail et du fini n'est nullement apprécié.
..... Donc, Mesureur, grand maitre de l'Assistance publique, coiffé du bonnet phrygien, chasse impitoyablement, - la dextre armée du fouet, la senestre du réglement- les charmantes consolatrices des internes. D'où course éperdue, en costumes sommaires, prise d'assaut de tous les véhicules pouvant aider à la fugue : tramways, taxi-autos, aéroplanes... Des Amours, cependant, s'efforcent de tempérer l'austérité du grand manitou de l'avenue Victoria en lui décochant des flèches; le chien de la salle de garde lui-meme tiraille à belles dents les pans de sa redingote; un trio d'Amours sournois tente de perfides crocs-en-jambe. Ces efforts combinés permettent aux fugitives de préserver leurs épidermes des morsures du fouet; des bipèdes aux ailes éployées, semi-batraciens, semi oiseaux, profitent également du répit pour gagner des lieux plus hospitaliers.
..... Parmi cette scène de déroute et de désolation, une créature féminine demeure pourtant, calme aux bras de l'Interne; elle n'a rien à craindre des foudres de l'Assistance, elle sauvera l'interne du marasme et de la neurasthénie : c'est la "petite bleue".
..... Il y a dans tout cela du mouvement, du pittoresque, de l'esprit, une verve à la Breughel qui valent de retenir l'attention.
..... Inutiles donc les suggestions de la plinthe : arrière camphre, bromure, valériane et autres "hypotenseurs" ! arrière la crainte du diplocoque encapsulé !

..... Bichat et Bretonneau ont uni leur efforts. Leur loge commune a pris pour thème de décoration, le "Relévement de l'homme malade!" Relèvement ? Oui, sans doute, mais bien temporaire; ce sont là dernières flambées d'un feu qui va s'éteindre. Le teint hâve, le visage émacié, le Turc ne pourra jouir longtemps des joies terrestres de du commerce des belles Circassiennes; les alliés balkaniques ont parfaitement compris le mode de mourir qu'il convenait d'offrir à cet embrasé : ils guettent l'heure opportune pour achever par l'acier ou par les balles, un organisme que Vénus a débilité.

..... La Pitié a confié à James Richard l'architecture et la décoratin de son logis, une maison de thé, qui ne manque point de caractère. Sur le fronton, est écrite la fin tragique de la vie grandiose, épique, tourmentée du moderne Chevalier du Cygne : Armand Fallières ! Au supreme fronton notre Président "cherche à faire rigoler". Mais l'heure est venue d'abandonner l'Elysée, le mandat présidentiel va prendre fin, Armand ne peut déchoir, il saura mourir en beauté : le motif décoratif essentiel le représente pourfendant sa ligne blanche, du périnée à l'appendice xyphoïde; à ses cotés deux femmes agenouillées se lamentent : "Armand, ne te harakirise pas !" Vaines paroles ! Du haut du paradis shintoïste, Nogi appelle notre Président.
..... D'autre sujets, gaillardement brossés dans l'esprit rabelaisien du bal, nous ramènent à des motifs plus tendres. Leur tort est de sièger à la plinthe et d'échapper presque totalement aux regards.
.....Vers minuit une animation singulière règne dans la maison de thé. Les invités ne songent point qu'au fronton un illustre président agonise. Chinois et Japonais s'ébattent parmi de capiteuses mousmées; les costumes sont vraiment riches et beaux; certains m'a-t-on dit, sont sortis des coffres d'ébène d'authentiques samouraïs.

..... Boucicaut, également tenté par l'Orient, s'abrite en une pagode chinoise transformée en "fumerie d'opium". Bessonnet en fut l'architecte, Pariselle le décorateur.

 

 

 

..... Deux dragons, puissants et grimaçants, veillent au seuil.
..... Au premier plan, un Chinois squelettique, victime de la "fée brune" savoure sa pipe à larges bouffées, pour la dernière fois peut etre. Son architecture s'allonge parmi les fleurs et lees sommités de pavots. A l'arrière-plan, un Boudha, dans sa haute sagesse, demeure étranger aux choses de ce monde.
..... Dominant le toit de la pagode, les têtes de Lepage, de Letulle, de Demoulin et de leurs internes, oeuvres de Beaufour, interne en pharmacie.

..... Beaujon s'est constitué une sorte de logis de troglodytes; des Sioux, des Aztèques l'habitent.

..... Tenon a imaginé, pour certains de ses "chefs" présents, passés, ou à venir, des chatiments raffinés, renouvelés du Jardin des Supplices. Voici G. soumis au supplice de la caresse et du casse-poitrine, le chirurgien M. au supplice du rat, le médecin M. au supplice du tub; K. est empalé; le bon visage succulent de F. asphyxie sous une cloche à fromage. Sur les pilliers latéraux sont peints les médaillons excellents de Gilbert, de Segond, de Thoinot, de Chantemesse, et de quelques autres professeurs.
..... Nous ignorons l'auteur de ces décorations, il a droit à des compliments. Son oeuvre procède d'un esprit très fin, pittoresque; la psychologie est sure, l'exécution au dessus de tout éloge.

..... La Maison Dubois a confié à Guy Arnoux l'édification de sa demeure d'un soir. L'artiste a créé un "Cabaret au temps de la Terreur", avec cette suscription : "Sincinnatus Dubois, rotisseur-cabaretié de la Nation.

..... Les Enfants Malades nous ont présenté le "Carrel's Institute". Nous le reproduisons ici, cela nous dispense de longs commentaires. Wilborts, interne à cet hopital, s'est révélé architecte suffisant et décorateur plein de verve. Il doit etre complimenté tant pour ses moulages d'organes exposés à la devanture (seins, fesses, Petits Pulsoconn Pour Personnes Poires) que pour les représentations "Avant" et "Après" de personnages chez qui on a remplacé, par la greffe de beaux organes neufs, les organes insuffisants ou usagés.

..... Voici Saint Louis, avec à son seuil un arbre étrange dont l'écorce s'entrouvre à la manière d'une nature béante.
..... Les Internes de Saint Louis ont lu Huysmans.

..... Ils nous reste à parler des deux loges primées, et à juste titre : la loge de Cochin et la loge de Laennec.
..... Virenque, artiste peintre, frère de l'interne de Jean-Louis Faure, a créé pour Cochin une belle maison arabe, à grandes lignes architecturales simples et d'un haut style. La façade est sobrement décorée, et dans le meilleur gout : un singe, une chimère héraldiques, curieusement stylisés, sur un fond de mosaïque; une fenetre à moucharabieh surplombe l'ensemble et se trouve etre du plus heureux effet décoratif.
..... A l'heure où l'animation battait son plein dans la grande salle de Bullier, la loge de Cochin nous offrit sous l'éclat grandiose des feux de Bengale, la surprise de danses lascives d'almées charmeuses de serpents. Une femme de couleur, sculpturale et bronzée, s'avança au premier plan, la peau dorée par la lueur des flammes, affirmant la pureté de ses ligneset la noblesse de sa stature sur un fond lumineux. Cependant les almées, par la houle onduleuse des abdomens, l'offrande alternante des seins, le roulis des hanches, présentaient aux regards toute une vision d'Orient sensuel. Drapés d'oripeaux aux couleurs violentes, des indigènes rythmaient des danses en frappant en cadence dans leurs mains.

..... Laennec a reconstitué un somptueux lupanar grec. Les frises en sont fort belles et fort décoratives : au fronton, de beaux athlètes, en pleine vigueur physisque, fiérement érigés, musclés et nus; en bas des couples dansants une audacieuse bacchanale, libérés de toutes étoffes superflues, dans l'ivresse et l'esprit du corps.
..... A l'arrière fond du lupanar, une large échappée s'ouvre sur une mer lumineuse et bleue; les rayons du soleil levant dorent le fronton d'un temple; la barque de Cypris est amarrée au rivage; un lointain de collines boisées demeure dans la pénombre de nuit finissante. C'est tout le charme reposant d'un paysage d'Agrigente qu'aurait signé René Ménard.

Les Cortèges

..... Minuit ! L'heure du défilé des cortèges.
..... Ils seront sans grand éclat.

..... Les internes de l'Hotel Dieu, reniant une tradition à laquelle leurs devanciers n'ont jamais manqué, ont cru pouvoir s'abstenir. C'est là un signe facheux des temps et une cause de désappointement général. Aussi convient-il de saluer l'effort de quatre protestataires qui ont voulu sauver l'honneur de la salle de garde en improvisant un cortège ... quand meme!

..... Voici donc que le foule s'entrouvre sous la poussée brutale d'un interne ensanglanté brandissant des mains engainées de gants Chaput. Deux flics, un municipal prêtent leur concours.
..... Bientot les trompettes sonnent, les tambours battent, l'orchestre entame une marche triomphale. Le cortège des quatres protestataires de l'Hotel Dieu se met en marche.
..... Après une lutte pénible pour la sauvegarde des traditions, les survivants pleurent leurs morts. La gaité francaise est allongée, morte, sous les aspects d'un beau corps de femme, sur un palanquin porté aux quatres angles par des enfants de choeur habillés de rouge et de noir.Derrière suivent des pénitents en cagoule, des infirmes, des stropiats.
..... Le cortège est très acclamé et c'est justice. Honneur aux quatres braves de l'Hotel Dieu.

..... Le cortège de Saint Antoine s'est inspiré du récent Congrés eugénique pour l'amélioration de la race humaine. Van den Berg a présidé à son élaboration; l'oeuvre du sympathique artiste a beaucoup de style. Les étalons de Saint Antoine se mettent en marche, précédés de leurs armoiries et de la bannière légendaire où sont figurés Saint Antoine et son cochon (bannière dessiné et peinte cette année par Vuibert)

.....I. "Quels produits de rebut sont nés de l'union de cette brute d'Eugène et de sa toupie Eugènie! Ils ont été conçus selon la méthode ancienne des amants enlacés, des pigeons s'aimant d'amour tendre, des nymphes et des satyres"
..... Cette première partie du cortège est splendidement traduite par le char de la Fontaine de Médicis qui symbolise l'amour avant la période actuelle ou période aseptique. La méthode ancienne, à en juger par les tableaux offerts à nos regards, devait avoir du bon. L'infortuné Polyphème se penche sur la vasque de marbre, douloureux et jaloux, et assiste aux ébats amoureux d'Acis et de Galatée. Le jeune couple, dans la figuration présente, est bien vivant et mouvant, et offre à l'admiration de l'assistance deux beaux corps engainés de maillots blancs.

..... II. "La chambre de Jenny, rendez-vous des ennemis de l'eugénie : le bock, le gonocoque, le spirochète .... etc."

..... III. "Le professeur Vinard, dans son bateau, préside à la technique impeccable de l'acte eugénique."

..... IV. "Triomphe de l'amour et du hasard."

..... Voici le cortège de Cochin.
..... "Pour transmettre aux générations futures le souvenir d'un événement récent, les internes de Cochin, empruntant aux pays orientaux leurs costumes et leur enthousiasme belliqueux, sont allés dérober à Bruxelles le MannekenPiss pour l'ériger dans la cour d'honneur du vieil hopital."
..... C'est qu'en effet un événement important advint récemment à Cochin. Un interne un certain soir, réintégra sa chambre d'hopital après une franche lippée et d'abondantes beuveries. Son filtre rénal se trouvant parfaitement perméable, le porteur avisa à se libérer du produit de sa distillation. Il aperçut, de sa fenetre, une forme indécise qu'il prit pour un de ces établissement d'utilité publique dont on attibue la paternité à l'empereur Vespassien. Il en usa selon la technique coutumière. Il se trouva que le pseudo-édicule fut un agent de M. Lépine. L'interne paya fort cher son erreur. L'érection dans la cour d'honneur de l'hopital, du MannekenPiss dérobé à Bruxelles, perpétuera pour les générations futures, le souvenir de ce calamiteux événement.

..... Le cortège de Beaujon fut consacré à "La transfusion des liquides organiques". Il fut amusant, humoristique, malgré que sommaire, en raison de la modestie du budget de la salle de garde (?).
..... "Les bons bougres de Beaujon exposent le plan du nouvel Institut pour les transfusions. Rockefeller a engagé l'American Biograph en témoignage de l'aide que la réclame peut apporter à la science. "Trois indiens transportent le projet de façade de l'Institut."
..... Des hommes sandwichs portent des bannières où sont traduites par le dessin et par la couleur les principales techniques de la transfusion"

..... I. Transfusion de la salive.
..... II. Transfusion du lait (amours classiques du troupier et de la nourrice)
..... III. Transfusion du sang (triomphe des chirurgiens)
..... IV V VI. Autres transfusions
..... VII. Apothésoe de Carrel.

..... Ce cortège que nous n'avons pu figurer ici, était fort bien compris, bien coordonné animé. Une foule grouillante, dont l'attitude et les gestes étaient adéquats aux techniques successivement représentées de la transfusion des liquides organiques, lui donna une vie intense.

..... Saint Louis a répondu spirituellement à l'enquète de Hugues le Roux dans le Matin et a envisagé dans son cortège "Le Médecin qui comprend les femmes".
..... Les Croisés de Saint Louis sont précédés de tambours et de clairons jouant des marches guerrières. Il s'agit là de charmantes jeunes filles, habillées en gardes françaises, avec l'habit blanc bordé de rouge. Leurs uniformes ont été imaginés par Trilleau qui avec une ingéniosité remarquable a pu accommoder ainsi des blouses d'hopital. Tambours et clairons ont un fier entrain, défilent la jambe tendue, de façon martiale et jouent successivement "L'artilleur de Flandre" :
..... Trois artilleurs de Flandre
..... Revenant du Piémont ...
et les "Hussards de la garde" :
..... C'était un hussard de la Garde
..... Qui revenait de garnison ....

..... Le défilé comprend trois chars d'un égal intéret, symbolisant trois stades de l'amour chez le médecin

..... I. Le vieux médecin, qui ne peut plus comprendre les femmes, suit le char de ses amours passées. Ces amours gisent en un catafalque sur lequel s'appuie solitaire mais superbe, une pleureuse drapée de violet. Son ample chevelure dorée croule à flots sur ses épaules; une tunique de fin linon la drape et laisse révéler librement ses formes. Précédant le catafalque, François, interne à Saint Louis remplit les fonctions délicates et douloureuses de commissaire des morts.

..... II. Puis voici le médecin qui apprend à connaitre les femmes. C'est le jeune roupiou qui, en tenue d'alpiniste, l'alpenstock en main, s'initie aux mystères des régions inconnues et s'apprete à faire l'ascension du Vénusberg, d'un pas mal assuré.

..... III. Enfin survient le seul médecin qui sache comprendre les femmes. C'est l'Interne, chacun l'a deviné. Le voici campé à califourchon sur un mat symbolique. Une cour fémnine assidue sollicite ses faveurs. Il est également gouté dans tous les milieux sociaux.

..... Et maintenant voici terminée la grande manifestation médico-artistique annuelle des salles de garde parisiennes, nous sera-t-il permis de philosopher en quelques lignes terminales ?
..... Le Bal de l'Internat de 1912, malgré tout l'intéret qu'il a présenté - et que nous nous sommes efforcés de faire valoir, - laisse à ceux qui ont connu les bals de l'époque initiale, de l'époque ou Bellery-Desfontaines dépensait sans compter à la Charité ou ailleurs, son temps et sa peine, un regret! Pareil sentiment repose-t-il sur une opinion vraie strictement juste ou tout simplement n'est-ce que nostalgie d'un passé qui, pour n'etre guère éloigné encore, s'estompe cependant déjà dans la brume ?
..... Peu importe !
..... La mentalité des générations évolue avec le temps et bien téméraire celui qui voudrait prouver que telle vaut mieux que telle autre. Mais comme il serait bien pourtant que la tradition ancienne persistat, transmuée, si l'on veut, mais toujours vivante, originale et joyeuse ! Que le Bal de l'Internat émanation directe de l'esprit des salles de garde, vive !
..... Que vive aussi la salle de garde. Elle évoque en tant de pensées les belles années de la jeunesse! Elle rappelle à tant de mémoires une réunion d'esprits jeunes, ardents, en suffisant contact pour que s'éveillent les sympathies, en liberté assez large pour que soient évités les froissements ! Qui pourrait dire les joues épiques auxquelles ont assité des générations d'internes aux heures des repas ? Les systèmes philosophiques les plus abstraits, les problemes politiques et économiques les plus brulants, les paradoxes les plus hasardeux, tout ce qui agite ou passionne les hommes a été exposé, argumenté et discuté là.
..... Par ailleurs, comme il sied en notre gai pays de France, les repas s'y terminent en joyeux couplets bacchiques où sont congrument célébrées les joies positives de la jeunesse et les éternelles délices de l'amour. "Mimi Pinson, écrit Durand-Fardel dans le Centenaire de l'Internat, bravant les foudres administratives, ne craint pas de venir consoler l'Interne de garde, et on la voit coifée de la calotte indigne, lançant au refrain son refrain gaillard !"
.....Innombrables sont les chansons écloses dans chaque salle de garde. Toutes spirituelles, gaies, franchement gauloises, elles jalonnent les temps, découvrant sans pitié aux générations ultérieures, les péchés de jeunesse de ceux qu'elles ne connaissent que comme de graves et pudiques professeurs !

 

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