La chronique médicale

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Le Bal de l'Internat 1903

Le Bal en 1903

Chronique Médical

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Le Bal de l'Internat en 1903

     Après avoir, des semaines entières, cloué des planches, badigeonné des mannequins, cousu des costumes, drapé des tentures, dressé des estrades et des chars, des piédestaux et des catafalques, MM. les internes ont donné leur bal annuel dans la nuit du 21 au 22 décembre.
     Dès onze heures, la salle Wagram, trop étroite et mal éclairée, ruisselle d'une cohue bariolée, qui coule entre les piliers, ondule et roule et déferle aux portes mauresques des loges décorées. les vagues pailletées, avec la mollesse du velours et le frisson du satin, glissent le long des chars monumentaux, écueils aux contours bizarres. Le canon de l'empereur du Sahara pointe sa gueule au plafond, éructant, par intervalles, des gerbes de feu d'artifice; la Frasquita fume à l'ancre; le trone de Sardanapale allonges ses bras dorés, la tour de Sérapion, comme un phare, s'allume aux globes électriques.
     Sur cette mer de couleurs, l'orchestre, en habits noirs, rugit ses notes médicales, beuglées hier dans les salles de garde par les internes qui ont de la voix. Et l'on danse comme on s'amuse, en prenant ses distances et ses intervalles, pour des ébats démesurés.
     A minuit, le défilé commence, sous les yeux de jurés à tiares.
     L'hopital Herold reonduit dans ses montages le roi Haroldt et ses quatres frères qui reviennent de la chasse, au meuglement des trompes rauques. des veneurs velus et musclés trainent en laisse d'énormes molosses, aboyant après le cerf érigé sur un pavois. Le roi Haroldt, puissant et chenu, s'avance à cheval, au milieu de ses guerriers et de ses captives.
     Le professeur Naulois présente l'hopital Tenon et le Gigantisme : la lutte des Titans contre le ciel, Ulysse aveuglant Polyphème, un serpent plusieurs fois boa, un crane géant aux protubérances démesurées, d'ou jaillit la Méningite sous la forme d'une belle femme capable de donner au moins la migraine.
     L'hopital Andral, ayant mobilisé le syndicat jaune fait défiler la cholémie, congénitale, familiale, matrimoniale, suivie de six roses biliaires et de la charcuterie hépatique dont les foies se sauvent.
     Saint Antoine (1) raconte l'histoire des Poisons. Un vieil alchimiste agite un liquide vert avant de s'n servir. Cléopatre, droite et fatale, coule un regard félin sur les esclaves morts, à ses pieds; Lucrèce Borgia, de noir vétue, devant une table chargée de fruits, sourit à ses convives écumant sur le parquet. La Brinvilliers crucifie son corps sur le poteau du bucher que les bourreaux allument. Des fleurs distillent leurs poisons, des champignons font sauter leurs chapeaux vénéneux par dessus des moulins à poivre. Tandis que, dans un coin de loge, Socrate, qui but si allègrement la cigue, refuse de porter meme à ses lèvres une goutte d'alcool-aliment.
     Beaujon ouvre à S. M. Jacques 1 er Empereur de tous les Saharas, les portes de sa bonne ville de Troja. La Frasquita crache des volutes d'ouate; l'harmonie Trojanaise exécute les morceaux les plus cacophoniques de son répertoire; l'armée hétéroclite fait partir de petits fusils derrière le Long Jacques, vomissant des fusées à la lueur des feux de Bengale. Leurs deux Majestés Sahariennes, sur un trone à parasol, sont suivies de leurs ministres et du premier consul. Grand Eunuque, harem, chameaux, fantasia, des dattes !
     L'hopital Necker promène par les rues d'Antinoé, Thais et Nisius, escortés de danseuses et de joueuses de flutes (2). Sérapion, juché sur sa colonne qui accroche au passage les globes électriques, prèche les mendiants, guérit les loqueteux, prédit aux jouisseurs les pires désastres et finalement convertit Thais, qui décède en odeur de sainteté.
     L'Hotel Dieu inaugure la statue d'une gloire locale dans son village. C'est le cortège d'une rosière avec fanfare de sapeurs-pompiers, l'apothéose du marbre devenu dieu, quand nous manquons de cuvettes.
     Saint Louis érige le veau d'or, Sardanapale, que guigne "à l'oeil" la Fortune, raccrochant les médecins dichotomiques, la Réclame tapant à tour de bras sur le cuivre, Mars guérissant la chlorose, le Zinc et la Pommade à l'oxyde dudit. L'antimoine expulsant les Congrégations, le Radium radieux, l'argent terne, le mercure spécifique, le plomb dans la tète et l'aluminium vaporeux ....
     A son de trompe, le jury tiaré proclamme les prix. Saint Antoine et Tenon obtiennent ses faveurs. Puis l'on soupe, chaque hopital dans sa loge, avec force charcuterie arrosée de champagne. Et l'on redanse jusqu'au matin.
     C'est un féérie de femmes, de lumières, de fleurs, une débauche de couleurs, de musique et de verve; en dépit des chastes mesures de l'Austérité publique, qui avait posté aux quatre coins de la salle l'ombre anthume de Bérenger, guettant d'un oeil oblique l'envol soudain des derniers voiles sur la chute des feuilles de vigne.

E Lepage.

1. On a lu sans doute Poisons et Sortilèges à Saint Antoine; un bon point pour nos camarades, qui ont, du reste, été bien inspirées en s'inspirant de notre livre - puisqu'ils ont décroché la timbale (NDLR)

2. Voir page 3 la gravure, faite d'après un croquis pris sur le vif par le dessinateur Flansshoen, et notre confrère dont le Journal a bien voulu nous communiquer le cliché, ainsi que celui du pousse-pousse de l'Empereur du Sahara et de sa gracieuse épouse sinistra manu.